Texte d'Aurélien Lepage
La turbulence du monde
Dans un texte récent, Paul Virilio estime que la société contemporaine, par la saturation perpétuelle – d’images, de productions, de faits - qu’elle engendre au quotidien, a perdu toute notion de temps et d’instant. Une arythmie l’anime désormais : l’alternance des pleins et des vides nécessaire à tout rythme s’est effacée pour laisser place à une immédiateté des choses et de la pensée, disparaissant sitôt apparues, ne s’inscrivant plus dans aucune durée – cette étendue du temps où passé et avenir s’entrelacent pour constituer le présent. Dès lors, pour l’artiste, il s’agira en quelque sorte de décider – je caricature à dessein - s’il désire évoluer à rebours de cet excès, ou s’il désire s’y fondre pour mieux en saisir l’extrême densité et, malgré tout, l’immense richesse. Cette dernière voie serait celle choisie par Meln. Ses voyages réguliers à Londres, à Berlin, et sa proximité avec les milieux alternatifs qui s’y déploient, permettent à Meln de capter toute une exubérance propre à ce flux permanent du monde, de s’en gorger pour le laisser ensuite fluer au cœur de ses œuvres, une fois revenue au silence de son atelier luron.
Meln peint, sculpte en usant de matériaux de récupération, illustre des pochettes de disques. Dans ses images très colorées et graphiques, les villes élancent leurs tours et les personnages s’avancent seuls ou en grappes. Cela grouille et s’amuse, cela crie et s’inquiète. Quelque part entre figuration libre et figuration narrative, c’est-à-dire entre une création légère et spontanée et une création à dimension plus politique, son œuvre, à l’instar de ces deux courants, puise son inspiration hors des chemins balisés de la création. Car l’art peut tout aussi bien se rencontrer dans les pages d’une bande-dessinée ou d’un magazine, les entrelacs d’un graffiti ou les musiques underground, et pas uniquement au sein des musées, des galeries et des lieux habituellement dédiés au «Grand Art». Pour autant, il ne s’agit pas pour Meln de se situer contre un quelconque art officiel, ni même d’élaborer une œuvre en marge, mais bien de laisser pénétrer, parfois en silence, parfois avec bruit et fracas, cette turbulence – tout à la fois le trouble et le tourbillon - du monde contemporain, sa luxuriance urbaine, tantôt la désirant, tantôt la dénonçant, mais toujours de manière joyeuse et amusée, distanciée.
En quelque sorte, l’œuvre de Meln pourrait se situer dans le prolongement de la phrase de Robert Combas : «c’est la vie que je peins, mais la manière dont je la peins n’est pas réaliste.»
texte : Aurélien Lepage, 2009